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Le tÐ?lescope des montagnes Rocheuses

Le tÐ?lescope des montagnes Rocheuses

Le 20 octobre de l'annÐ?e prÐ?cÐ?dente, aprÐås la souscription close, le prÐ?sident du Gun-Club avait crÐ?ditÐ? l'Observatoire de Cambridge des sommes nÐ?cessaires Ðœ la construction d'un vaste instrument d'optique. Cet appareil, lunette ou tÐ?lescope, devait Ð?tre assez puissant pour rendre visible Ðœ la surface. de la Lune un objet ayant au plus neuf pieds de largeur.

Il y a une diffÐ?rence importante entre la lunette et le tÐ?lescope; il est bon de la rappeler ici. La lunette se compose d'un tube qui porte Ðœ son extrÐ?mitÐ? supÐ?rieure une lentille convexe appelÐ?e objectif, et Ðœ son extrÐ?mitÐ? infÐ?rieure une seconde lentille nommÐ?e oculaire, Ðœ laquelle s'applique l'oeil de l'observateur. Les rayons Ð?manant de l'objet lumineux traversent la premiÐåre lentille et vont, par rÐ?fraction, former une image renversÐ?e Ðœ son foyer*. Cette image, on l'observe avec l'oculaire, qui la grossit exactement comme ferait une loupe. Le tube de la lunette est donc fermÐ? Ðœ chaque extrÐ?mitÐ? par l'objectif et l'oculaire.

Au contraire, le tube du tÐ?lescope est ouvert Ðœ son extrÐ?mitÐ? supÐ?rieure. Les rayons partis de l'objet observÐ? y pÐ?nÐåtrent librement et vont frapper un miroir mÐ?tallique concave, c'est-Ðœ-dire convergent. De lÐœ ces rayons rÐ?flÐ?chis rencontrent un petit miroir qui les renvoie Ðœ l'oculaire, disposÐ? de faОon Ðœ grossir l'image produite.

Ainsi, dans les lunettes, la rÐ?fraction joue le rÑ'le principal, et dans les tÐ?lescopes, la rÐ?flexion. De lÐœ le nom de rÐ?fracteurs donnÐ? aux premiÐåres, et celui de rÐ?flecteurs attribuÐ? aux seconds. Toute la difficultÐ? d'exÐ?cution de ces appareils d'optique gÐ?t dans la confection des objectifs, qu'ils soient faits de lentilles ou de miroirs mÐ?talliques.

Cependant, Ðœ l'Ð?poque oÑ% le Gun-Club tenta sa grande expÐ?rience, ces instruments Ð?taient singuliÐårement perfectionnÐ?s et donnaient des rÐ?sultats magnifiques. Le temps Ð?tait loin oÑ% GalilÐ?e observa les astres avec sa pauvre lunette qui grossissait sept fois au plus. Depuis le XVIe siÐåcle, les appareils d'optique s'Ð?largirent et s'allongÐårent dans des proportions considÐ?rables, et ils permirent de jauger les espaces stellaires Ðœ une profondeur inconnue jusqu'alors. Parmi les instruments rÐ?fracteurs fonctionnant Ðœ cette Ð?poque, on citait la lunette de l'Observatoire de Poulkowa, en Russie, dont l'objectif mesure quinze pouces ( â?' 38 centimÐåtres de largeur*), la lunette de l'opticien franОais Lerebours, pourvue d'un objectif Ð?gal au prÐ?cÐ?dent, et enfin la lunette de l'Observatoire de Cambridge, munie d'un objectif qui a dix-neuf pouces de diamÐåtre (48 cm).

Parmi les tÐ?lescopes, on en connaissait deux d'une puissance remarquable et de dimension gigantesque. Le premier, construit par Herschell, Ð?tait long de trente-six pieds et possÐ?dait un miroir large de quatre pieds et demi; il permettait d'obtenir des grossissements de six mille fois. Le second s'Ð?levait en Irlande, Ðœ Birrcastle, dans le parc de Parsonstown, et appartenait Ðœ Lord Rosse. La longueur de son tube Ð?tait de quarante-huit pieds, la largeur de son miroir de six pieds ( â?' 1.93 m*); il grossissait six mille quatre cents fois, et il avait fallu bÐ?tir une immense construction en maОonnerie pour disposer les appareils nÐ?cessaires Ðœ la manoeuvre de l'instrument, qui pesait vingt-huit mille livres.

Mais, on le voit, malgrÐ? ces dimensions colossales, les grossissements obtenus ne dÐ?passaient pas six mille fois en nombres ronds; or, un grossissement de six mille fois ne ramÐåne la Lune qu'Ðœ trente-neuf milles ( â?' 16 lieues), et il laisse seulement apercevoir les objets ayant soixante pieds de diamÐåtre, Ðœ moins que ces objets ne soient trÐås allongÐ?s.

Or, dans l'espÐåce, il s'agissait d'un projectile large de neuf pieds et long de quinze; il fallait donc ramener la Lune Ðœ cinq milles ( â?' 2 lieues) au moins, et, pour cela, produire des grossissements de quarante-huit mille fois.

Telle Ð?tait la question posÐ?e Ðœ l'Observatoire de Cambridge. Il ne devait pas Ð?tre arrÐ?tÐ? par les difficultÐ?s financiÐåres; restaient donc les difficultÐ?s matÐ?rielles.

Et d'abord il fallut opter entre les tÐ?lescopes et les lunettes. Les lunettes prÐ?sentent des avantages sur les tÐ?lescopes. A Ð?galitÐ? d'objectifs, elles permettent d'obtenir des grossissements plus considÐ?rables, parce que les rayons lumineux qui traversent les lentilles perdent moins par l'absorption que par la rÐ?flexion sur le miroir mÐ?tallique des tÐ?lescopes. Mais l'Ð?paisseur que l'on peut donner Ðœ une lentille est limitÐ?e, car, trop Ð?paisse, elle ne laisse plus passer les rayons lumineux. En outre, la construction de ces vastes lentilles est excessivement difficile et demande un temps considÐ?rable, qui se mesure par annÐ?es.

Donc, bien que les images fussent mieux Ð?clairÐ?es dans les lunettes, avantage inapprÐ?ciable quand il s'agit d'observer la Lune, dont la lumiÐåre est simplement rÐ?flÐ?chie, on se dÐ?cida Ðœ employer le tÐ?lescope, qui est d'une exÐ?cution plus prompte et permet d'obtenir de plus forts grossissements. Seulement, comme les rayons lumineux perdent une grande partie de leur intensitÐ? en traversant l'atmosphÐåre, le Gun-Club rÐ?solut d'Ð?tablir l'instrument sur l'une des plus hautes montagnes de l'Union, ce qui diminuerait l'Ð?paisseur des couches aÐ?riennes.

Dans les tÐ?lescopes, on l'a vu, l'oculaire, c'est-Ðœ-dire la loupe placÐ?e Ðœ l'oeil de l'observateur, produit le grossissement, et l'objectif qui supporte les plus forts grossissements est celui dont le diamÐåtre est le plus considÐ?rable et la distance focale plus grande. Pour grossir quarante-huit mille fois, il fallait dÐ?passer singuliÐårement en grandeur les objectifs d'Herschell et de Lord Rosse. LÐœ Ð?tait la difficultÐ?, car la fonte de ces miroirs est une opÐ?ration trÐås dÐ?licate.

Heureusement, quelques annÐ?es auparavant, un savant de l'Institut de France, LÐ?on Foucault, venait d'inventer un procÐ?dÐ? qui rendait trÐås facile et trÐås prompt le polissage des objectifs, en remplaОant le miroir mÐ?tallique par des miroirs argentÐ?s. Il suffisait de couler un morceau de verre de la grandeur voulue et de le mÐ?talliser ensuite avec un sel d'argent. Ce fut ce procÐ?dÐ?, dont les rÐ?sultats sont excellents, qui fut suivi pour la fabrication de l'objectif.

De plus, on le disposa suivant la mÐ?thode imaginÐ?e par Herschell pour ses tÐ?lescopes. Dans le grand appareil de l'astronome de Slough, l'image des objets, rÐ?flÐ?chie par le miroir inclinÐ? au fond du tube, venait se former Ðœ son autre extrÐ?mitÐ? oÑ% se trouvait situÐ? l'oculaire. Ainsi l'observateur, au lieu d'Ð?tre placÐ? Ðœ la partie infÐ?rieure du tube, se hissait Ðœ sa partie supÐ?rieure, et lÐœ, muni de sa loupe, il plongeait dans l'Ð?norme cylindre. Cette combinaison avait l'avantage de supprimer le petit miroir destinÐ? Ðœ renvoyer l'image Ðœ l'oculaire. Celle-ci ne subissait plus qu'une rÐ?flexion au lieu de deux. Donc il y avait un moins grand nombre de rayons lumineux Ð?teints. Donc l'image Ð?tait moins affaiblie. Donc, enfin, on obtenait plus de clartÐ?, avantage prÐ?cieux dans l'observation qui devait Ð?tre faite*.

Ces rÐ?solutions prises, les travaux commencÐårent. D'aprÐås les calculs du bureau de l'Observatoire de Cambridge, le tube du nouveau rÐ?flecteur devait avoir deux cent quatre-vingts pieds de longueur, et son miroir seize pieds de diamÐåtre. Quelque colossal que fÑ't un pareil instrument, il n'Ð?tait pas comparable Ðœ ce tÐ?lescope long de dix mille pieds ( â?' 3 kilomÐåtres et demi) que l'astronome Hooke proposait de construire il y a quelques annÐ?es. NÐ?anmoins l'Ð?tablissement d'un semblable appareil prÐ?sentait de grandes difficultÐ?s.

Quant Ðœ la question d'emplacement, elle fut promptement rÐ?solue. Il s'agissait de choisir une haute montagne, et les hautes montagnes ne sont pas nombreuses dans les ÐTtats.

En effet, le systÐåme orographique de ce grand pays se rÐ?duit Ðœ deux chaÐ?nes de moyenne hauteur, entre lesquelles coule ce magnifique Mississippi que les AmÐ?ricains appelleraient Â'le roi des fleuvesÂ', s'ils admettaient une royautÐ? quelconque.

A l'est, ce sont les Appalaches, dont le plus haut sommet, dans le New-Hampshire, ne dÐ?passe pas cinq mille six cents pieds, ce qui est fort modeste.

A l'ouest, au contraire, on rencontre les montagnes Rocheuses, immense chaÐ?ne qui commence au dÐ?troit de Magellan, suit la cÑ'te occidentale de l'AmÐ?rique du Sud sous le nom d'Andes ou de CordillÐåres, franchit l'isthme de Panama et court Ðœ travers l'AmÐ?rique du Nord jusqu'aux rivages de la mer polaire.

Ces montagnes ne sont pas trÐås Ð?levÐ?es, et les Alpes ou l'Himalaya les regarderaient avec un suprÐ?me dÐ?dain du haut de leur grandeur. En effet, leur plus haut sommet n'a que dix mille sept cent un pieds, tandis que le mont Blanc en mesure quatorze mille quatre cent trente-neuf, et le Kintschindjinga* vingt-six mille sept cent soixante-seize au-dessus du niveau de la mer.

Mais, puisque le Gun-Club tenait Ðœ ce que le tÐ?lescope, aussi bien que la Columbiad, fÑ't Ð?tabli dans les ÐTtats de l'Union, il fallut se contenter des montagnes Rocheuses, et tout le matÐ?riel nÐ?cessaire fut dirigÐ? sur le sommet de Lon's-Peak, dans le territoire du Missouri.

Dire les difficultÐ?s de tout genre que les ingÐ?nieurs amÐ?ricains eurent Ðœ vaincre, les prodiges d'audace et d'habiletÐ? qu'ils accomplirent, la plume ou la parole ne le pourrait pas. Ce fut un vÐ?ritable tour de force. Il fallut monter des pierres Ð?normes, de lourdes piÐåces forgÐ?es, des corniÐåres d'un poids considÐ?rable, les vastes morceaux du cylindre, l'objectif pesant lui seul prÐås de trente mille livres, au-dessus de la limite des neiges perpÐ?tuelles, Ðœ plus de dix mille pieds de hauteur, aprÐås avoir franchi des prairies dÐ?sertes, des forÐ?ts impÐ?nÐ?trables, des Â'rapidesÂ' effrayants, loin des centres de populations, au milieu de rÐ?gions sauvages dans lesquelles chaque dÐ?tail de l'existence devenait un problÐåme presque insoluble. Et nÐ?anmoins, ces mille obstacles, le gÐ?nie des AmÐ?ricains en triompha. Moins d'un an aprÐås le commencement des travaux, dans les derniers jours du mois de septembre, le gigantesque rÐ?flecteur dressait dans les airs son tube de deux cent quatre-vingts pieds. Il Ð?tait suspendu Ðœ une Ð?norme charpente en fer; un mÐ?canisme ingÐ?nieux permettait de le manoeuvrer facilement vers tous les points du ciel et de suivre les astres d'un horizon Ðœ l'autre pendant leur marche Ðœ travers l'espace.


Le tÐ?lescope des montagnes Rocheuses.

Il avait coÑ'tÐ? plus de quatre cent mille dollars*. La premiÐåre fois qu'il fut braquÐ? sur la Lune, les observateurs Ð?prouvÐårent une Ð?motion Ðœ la fois curieuse et inquiÐåte. Qu'allaient-ils dÐ?couvrir dans le champ de ce tÐ?lescope qui grossissait quarante-huit mille fois les objets observÐ?s? Des populations, des troupeaux d'animaux lunaires, des villes, des lacs, des ocÐ?ans? Non, rien que la science ne connÑ't dÐ?jÐœ, et sur tous les points de son disque la nature volcanique de la Lune put Ð?tre dÐ?terminÐ?e avec une prÐ?cision absolue.

Mais le tÐ?lescope des montagnes Rocheuses, avant de servir au Gun-Club, rendit d'immenses services Ðœ l'astronomie. GrÐ?ce Ðœ sa puissance de pÐ?nÐ?tration, les profondeurs du ciel furent sondÐ?es jusqu'aux derniÐåres limites, le diamÐåtre apparent d'un grand nombre d'Ð?toiles put Ð?tre rigoureusement mesurÐ?, et M. Clarke, du bureau de Cambridge, dÐ?composa le crab nebula* du Taureau, que le rÐ?flecteur de Lord Rosse n'avait jamais pu rÐ?duire.