.
: http://www.epizodsspace.narod.ru/bibl/fant/jul-vern/vern_s-zemli/11.html
: Unknown : Sun Apr 10 01:01:51 2016 : IBM-866 : aldebaran |
Cependant, une question restait encore dcider: il fallait choisir un endroit favorable l'exprience. Suivant la recommandation de l'Observatoire de Cambridge, le tir devait tre dirig perpendiculairement au plan de l'horizon, c'est--dire vers le znith; or, la Lune ne monte au znith que dans les lieux situs entre 0 et 28 de latitude, en d'autres termes, sa dclinaison n'est que de 28 *. Il s'agissait donc de dterminer exactement le point du globe o serait fondue l'immense Columbiad.
Le 20 octobre, le Gun-Club tant runi en sance gnrale, Barbicane apporta une magnifique carte des tats-Unis de Z. Belltropp. Mais, sans lui laisser le temps de la dployer, J.-T. Maston avait demand la parole avec sa vhmence habituelle, et parl en ces termes:
Honorables collgues, la question qui va se traiter aujourd'hui a une vritable importance nationale, et elle va nous fournir l'occasion de faire un grand acte de patriotisme.
Les membres du Gun-Club se regardrent sans comprendre o l'orateur voulait en venir.
Aucun de vous, reprit-il, n'a la pense de transiger avec la gloire de son pays, et s'il est un droit que l'Union puisse revendiquer, c'est celui de receler dans ses flancs le formidable canon du Gun-Club. Or, dans les circonstances actuelles...
Brave Maston... dit le prsident.
Permettez-moi de dvelopper ma pense, reprit l'orateur. Dans les circonstances actuelles, nous sommes forcs de choisir un lieu assez rapproch de l'quateur, pour que l'exprience se fasse dans de bonnes conditions...
Si vous voulez bien... dit Barbicane.
Je demande la libre discussion des ides, rpliqua le bouillant J.-T. Maston, et je soutiens que le territoire duquel s'lancera notre glorieux projectile doit appartenir l'Union.
Sans doute! rpondirent quelques membres.
Eh bien! puisque nos frontires ne sont pas assez tendues, puisque au sud l'Ocan nous oppose une barrire infranchissable, puisqu'il nous faut chercher au-del des tats-Unis et dans un pays limitrophe ce vingt-huitime parallle, c'est l un casus belli lgitime, et je demande que l'on dclare la guerre au Mexique!
Mais non! mais non! s'cria-t-on de toutes parts.
Non! rpliqua J.-T. Maston. Voil un mot que je m'tonne d'entendre dans cette enceinte!
Mais coutez donc!...
Jamais! jamais! s'cria le fougueux orateur. Tt ou tard cette guerre se fera, et je demande qu'elle clate aujourd'hui mme.
Maston, dit Barbicane en faisant dtonner son timbre avec fracas, je vous retire la parole!
Maston voulut rpliquer, mais quelques-uns de ses collgues parvinrent le contenir.
Je conviens, dit Barbicane, que l'exprience ne peut et ne doit tre tente que sur le sol de l'Union, mais si mon impatient ami m'et laiss parler, s'il et jet les yeux sur une carte, il saurait qu'il est parfaitement inutile de dclarer la guerre nos voisins, car certaines frontires des tats-Unis s'tendent au-del du vingt-huitime parallle. Voyez, nous avons notre disposition toute la partie mridionale du Texas et des Florides.
L'incident n'eut pas de suite; cependant, ce n fut pas sans regret que J.-T. Maston se laissa convaincre. Il fut donc dcid que la Columbiad serait coule, soit dans le sol du Texas, soit dans celui de la Floride. Mais cette dcision devait crer une rivalit sans exemple entre les villes de ces deux tats.
Le vingt-huitime parallle, sa rencontre avec la cte amricaine, traverse la pninsule de la Floride et la divise en deux parties peu prs gales. Puis, se jetant dans le golfe du Mexique, il sous-tend l'arc form par les ctes de l'Alabama, du Mississippi et de la Louisiane. Alors, abordant le Texas, dont il coupe un angle, il se prolonge travers le Mexique, franchit la Sonora, enjambe la vieille Californie et va se perdre dans les mers du Pacifique. Il n'y avait donc que les portions du Texas et de la Floride, situes au-dessous de ce parallle, qui fussent dans les conditions de latitude recommandes par l'Observatoire de Cambridge.
La Floride, dans sa partie mridionale, ne compte pas de cits importantes. Elle est seulement hrisse de forts levs contre les Indiens errants. Une seule ville, Tampa-Town, pouvait rclamer en faveur de sa situation et se prsenter avec ses droits.
Au Texas, au contraire, les villes sont plus nombreuses et plus importantes, Corpus-Christi, dans le county de Nueces, et toutes les cits situes sur le Rio-Bravo, Laredo, Comalites, San-Ignacio, dans le Web, Roma, Rio-Grande-City, dans le Starr, Edinburg, dans l'Hidalgo, Santa-Rita, el Panda, Brownsville, dans le Camron, formrent une ligue imposante contre les prtentions de la Floride.
Aussi, la dcision peine connue, les dputs texiens et floridiens arrivrent Baltimore par le plus court; partir de ce moment, le prsident Barbicane et les membres influents du Gun-Club furent assigs jour et nuit de rclamations formidables. Si sept villes de la Grce se disputrent l'honneur d'avoir vu natre Homre, deux tats tout entiers menaaient d'en venir aux mains propos d'un canon.
On vit alors ces frres froces se promener en armes dans les rues de la ville. A chaque rencontre, quelque conflit tait craindre, qui aurait eu des consquences dsastreuses. Heureusement la prudence et l'adresse du prsident Barbicane conjurrent ce danger. Les dmonstrations personnelles trouvrent un drivatif dans les journaux des divers tats. Ce fut ainsi que le New York Herald et la Tribune soutinrent le Texas, tandis que le Times et l'American Review prirent fait et cause pour les dputs floridiens. Les membres du Gun-Club ne savaient plus auquel entendre.
Le Texas arrivait firement avec ses vingt-six comts, qu'il semblait mettre en batterie; mais la Floride rpondait que douze comts pouvaient plus que vingt-six, dans un pays six fois plus petit.
Le Texas se targuait fort de ses trois cent trente mille indignes, mais la Floride, moins vaste, se vantait d'tre plus peuple avec cinquante-six mille. D'ailleurs elle accusait le Texas d'avoir une spcialit de fivres paludennes qui lui cotaient, bon an mal an, plusieurs milliers d'habitants. Et elle n'avait pas tort.
A son tour, le Texas rpliquait qu'en fait de fivres la Floride n'avait rien lui envier, et qu'il tait au moins imprudent de traiter les autres de pays malsains, quand on avait l'honneur de possder le vmito negro l'tat chronique. Et il avait raison.
D'ailleurs, ajoutaient les Texiens par l'organe du New York Herald, on doit des gards un tat o pousse le plus beau coton de toute l'Amrique, un tat qui produit le meilleur chne vert pour la construction des navires, un tat qui renferme de la houille superbe et des mines de fer dont le rendement est de cinquante pour cent de minerai pur.
A cela l'American Review rpondait que le sol de la Floride, sans tre aussi riche, offrait de meilleures conditions pour le moulage et la fonte de la Columbiad, car il tait compos de sable et de terre argileuse.
Mais, reprenaient les Texiens, avant de fondre quoi que ce soit dans un pays, il faut arriver dans ce pays; or, les communications avec la Floride sont difficiles, tandis que la cte du Texas offre la baie de Galveston, qui a quatorze lieues de tour et qui peut contenir les flottes du monde entier.
Bon! rptaient les journaux dvous aux Floridiens, vous nous la donnez belle avec votre baie de Galveston situe au-dessus du vingt-neuvime parallle. N'avons-nous pas la baie d'Espiritu-Santo, ouverte prcisment sur le vingt-huitime degr de latitude, et par laquelle les navires arrivent directement Tampa-Town?
Jolie baie! rpondait le Texas, elle est demi ensable!
Ensabls vous-mmes! s'criait la Floride. Ne dirait-on pas que je suis un pays de sauvages?
Ma foi, les Sminoles courent encore vos prairies!
Eh bien! et vos Apaches et vos Comanches sont-ils donc civiliss!
La guerre se soutenait ainsi depuis quelques jours, quand la Floride essaya d'entraner son adversaire sur un autre terrain, et un matin le Times insinua que, l'entreprise tant essentiellement amricaine, elle ne pouvait tre tente que sur un territoire essentiellement amricain!
A ces mots le Texas bondit: Amricains! s'cria-t-il, ne le sommes-nous pas autant que vous? Le Texas et la Floride n'ont-ils pas t incorpors tous les deux l'Union en 1845?
Sans doute, rpondit le Times, mais nous appartenons aux Amricains depuis 1820.
Je le crois bien, rpliqua la Tribune; aprs avoir t Espagnols ou Anglais pendant deux cents ans, on vous a vendus aux tats-Unis pour cinq millions de dollars!
Et qu'importe! rpliqurent les Floridiens, devons-nous en rougir? En 1803, n'a-t-on pas achet la Louisiane Napolon au prix de seize millions de dollars*?
C'est une honte! s'crirent alors les dputs du Texas. Un misrable morceau de terre comme la Floride, oser se comparer au Texas, qui, au lieu de se vendre, s'est fait indpendant lui-mme, qui a chass les Mexicains le 2 mars 1836, qui s'est dclar rpublique fdrative aprs la victoire remporte par Samuel Houston aux bords du San-Jacinto sur les troupes de Santa-Anna! Un pays enfin qui s'est adjoint volontairement aux tats-Unis d'Amrique!
Parce qu'il avait peur des Mexicains! rpondit la Floride.
Peur! Du jour o ce mot, vraiment trop vif, fut prononc, la position devint intolrable. On s'attendit un gorgement des deux partis dans les rues de Baltimore. On fut oblig de garder les dputs vue.
Le prsident Barbicane ne savait o donner de la tte. Les notes, les documents, les lettres grosses de menaces pleuvaient dans sa maison. Quel parti devait-il prendre? Au point de vue de l'appropriation du sol, de la facilit des communications, de la rapidit des transports, les droits des deux tats taient vritablement gaux. Quant aux personnalits politiques, elles n'avaient que faire dans la question.
Or, cette hsitation, cet embarras durait dj depuis longtemps, quand Barbicane rsolut d'en sortir; il runit ses collgues, et la solution qu'il leur proposa fut profondment sage, comme on va le voir.
En considrant bien, dit-il, ce qui vient de se passer entre la Floride et le Texas, il est vident que les mmes difficults se reproduiront entre les villes de l'tat favoris. La rivalit descendra du genre l'espce, de l'tat la Cit, et voil tout. Or, le Texas possde onze villes dans les conditions voulues, qui se disputeront l'honneur de l'entreprise et nous creront de nouveaux ennuis, tandis que la Floride n'en a qu'une. Va donc pour la Floride et pour Tampa-Town!
Cette dcision, rendue publique, atterra les dputs du Texas. Ils entrrent dans une indescriptible fureur et adressrent des provocations nominales aux divers membres du Gun-Club. Les magistrats de Baltimore n'eurent plus qu'un parti prendre, et ils le prirent. On fit chauffer un train spcial, on y embarqua les Texiens bon gr mal gr, et ils quittrent la ville avec une rapidit de trente milles l'heure.
Mais, si vite qu'ils fussent emports, ils eurent le temps de jeter un dernier et menaant sarcasme leurs adversaires.
Faisant allusion au peu de largeur de la Floride, simple presqu'le resserre entre deux mers, ils prtendirent qu'elle ne rsisterait pas la secousse du tir et qu'elle sauterait au premier coup de canon.
Eh bien! qu'elle saute! rpondirent les Floridiens avec un laconisme digne des temps antiques.