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: http://www.epizodsspace.narod.ru/bibl/fant/jul-vern/vern_s-zemli/06.html
: Unknown : Sun Apr 10 01:01:18 2016 : IBM-866 |
La proposition Barbicane avait eu pour rsultat immdiat de remettre l'ordre du jour tous les faits astronomiques relatifs l'astre des nuits. Chacun se mit l'tudier assidment. Il semblait que la Lune appart pour la premire fois sur l'horizon et que personne ne l'et encore entrevue dans les cieux. Elle devint la mode; elle fut la lionne du jour sans en paratre moins modeste, et prit rang parmi les 뺵toiles sans en montrer plus de fiert. Les journaux ravivrent les vieilles anecdotes dans lesquelles ce Soleil des loups jouait un rle; ils rappelrent les influences que lui prtait l'ignorance des premiers ges; ils le chantrent sur tous les tons; un peu plus, ils eussent cit de ses bons mots; l'Amrique entire fut prise de slnomanie.
De leur ct, les revues scientifiques traitrent plus spcialement les questions qui touchaient l'entreprise du Gun-Club; la lettre de l'Observatoire de Cambridge fut publie par elles, commente et approuve sans rserve.
Bref, il ne fut plus permis, mme au moins lettr des Yankees, d'ignorer un seul des faits relatifs son satellite, ni la plus borne des vieilles mistress d'admettre encore de superstitieuses erreurs son endroit. La science leur arrivait sous toutes les formes; elle les pntrait par les yeux et les oreilles; impossible d'tre un ne...en astronomie.
Jusqu'alors, bien des gens ignoraient comment on avait pu calculer la distance qui spare la Lune de la Terre. On profita de la circonstance pour leur apprendre que cette distance s'obtenait par la mesure de la parallaxe de la Lune. Si le mot parallaxe semblait les tonner, on leur disait que c'tait l'angle form par deux lignes droites menes de chaque extrmit du rayon terrestre jusqu' la Lune. Doutaient-ils de la perfection de cette mthode, on leur prouvait immdiatement que, non seulement cette distance moyenne tait bien de deux cent trente-quatre mille trois cent quarante-sept milles ( 94,330 lieues), mais encore que les astronomes ne se trompaient pas de soixante-dix milles ( 30 lieues).
A ceux qui n'taient pas familiariss avec les mouvements de la Lune, les journaux dmontraient quotidiennement qu'elle possde deux mouvements distincts, le premier dit de rotation sur un axe, le second dit de rvolution autour de la Terre, s'accomplissant tous les deux dans un temps gal, soit vingt-sept jours et un tiers*.
Le mouvement de rotation est celui qui cre le jour et la nuit la surface de la Lune; seulement il n'y a qu'un jour, il n'y a qu'une nuit par mois lunaire, et ils durent chacun trois cent cinquante-quatre heures et un tiers. Mais, heureusement pour elle, la face tourne vers le globe terrestre est claire par lui avec une intensit gale la lumire de quatorze Lunes. Quant l'autre face, toujours invisible, elle a naturellement trois cent cinquante-quatre heures d'une nuit absolue, tempre seulement par cette ple clart qui tombe des toiles. Ce phnomne est uniquement d cette particularit que les mouvements de rotation et de rvolution s'accomplissent dans un temps rigoureusement gal, phnomne commun, suivant Cassini et Herschell, aux satellites de Jupiter, et trs probablement tous les autres satellites.
Quelques esprits bien disposs, mais un peu rtifs, ne comprenaient pas tout d'abord que, si la Lune montrait invariablement la mme face la Terre pendant sa rvolution, c'est que, dans le mme laps de temps, elle faisait un tour sur elle-mme. A ceux-l on disait: Allez dans votre salle manger, et tournez autour de la table de manire toujours en regarder le centre; quand votre promenade circulaire sera acheve, vous aurez fait un tour sur vous-mme, puisque votre oeil aura parcouru successivement tous les points de la salle. Eh bien! la salle, c'est le Ciel, la table, c'est la Terre, et la Lune, c'est vous! Et ils s'en allaient enchants de la comparaison.
Ainsi donc, la Lune montre sans cesse la mme face la Terre; cependant, pour tre exact, il faut ajouter que, par suite d'un certain balancement du nord au sud et de l'ouest l'est appel libration, elle laisse apercevoir un peu plus de la moiti de son disque, soit les cinquante-sept centimes environ.
Lorsque les ignorants en savaient autant que le directeur de l'Observatoire de Cambridge sur le mouvement de rotation de la Lune, ils s'inquitaient beaucoup de son mouvement de rvolution autour de la Terre, et vingt revues scientifiques avaient vite fait de les instruire. Ils apprenaient alors que le firmament, avec son infinit d'toiles, peut tre considr comme un vaste cadran sur lequel la Lune se promne en indiquant l'heure vraie tous les habitants de la Terre; que c'est dans ce mouvement que l'astre des nuits prsente ses diffrentes phases; que la Lune est pleine, quand elle est en opposition avec le Soleil, c'est--dire lorsque les trois astres sont sur la mme ligne, la Terre tant au milieu; que la Lune est nouvelle quand elle est en conjonction avec le Soleil, c'est--dire lorsqu'elle se trouve entre la Terre et lui; enfin que la Lune est dans son premier ou dans son dernier quartier, quand elle fait avec le Soleil et la Terre un angle droit dont elle occupe le sommet.
Quelques Yankees perspicaces en dduisaient alors cette consquence, que les clipses ne pouvaient se produire qu'aux poques de conjonction ou d'opposition, et ils raisonnaient bien. En conjonction, la Lune peut clipser le Soleil, tandis qu'en opposition, c'est la Terre qui peut l'clipser son tour, et si ces clipses n'arrivent pas deux fois par lunaison, c'est parce que le plan suivant lequel se meut la Lune est inclin sur l'cliptique, autrement dit, sur le plan suivant lequel se meut la Terre.
Quant la hauteur que l'astre des nuits peut atteindre au-dessus de l'horizon, la lettre de l'Observatoire de Cambridge avait tout dit cet gard. Chacun savait que cette hauteur varie suivant la latitude du lieu o on l'observe. Mais les seules zones du globe pour lesquelles la Lune passe au znith, c'est--dire vient se placer directement au-dessus de la tte de ses contemplateurs, sont ncessairement comprises entre les vingt-huitimes parallles et l'quateur. De l cette recommandation importante de tenter l'exprience sur un point quelconque de cette partie du globe, afin que le projectile pt tre lanc perpendiculairement et chapper ainsi plus vite l'action de la pesanteur. C'tait une condition essentielle pour le succs de l'entreprise, et elle ne laissait pas de proccuper vivement l'opinion publique.
Quant la ligne suivie par la Lune dans sa rvolution autour de la Terre, l'Observatoire de Cambridge avait suffisamment appris, mme aux ignorants de tous les pays, que cette ligne est une courbe rentrante, non pas un cercle, mais bien une ellipse, dont la Terre occupe un des foyers. Ces orbites elliptiques sont communes toutes les plantes aussi bien qu' tous les satellites, et la mcanique rationnelle prouve rigoureusement qu'il ne pouvait en tre autrement. Il tait bien entendu que la Lune dans son apoge se trouvait plus loigne de la Terre, et plus rapproche dans son prige.
Voil donc ce que tout Amricain savait bon gr mal gr, ce que personne ne pouvait dcemment ignorer. Mais si ces vrais principes se vulgarisrent rapidement, beaucoup d'erreurs, certaines craintes illusoires, furent moins faciles draciner.
Ainsi, quelques braves gens, par exemple, soutenaient que la Lune tait une ancienne comte, laquelle, en parcourant son orbite allonge autour du Soleil, vint passer prs de la Terre et se trouva retenue dans son cercle d'attraction. Ces astronomes de salon prtendaient expliquer ainsi l'aspect brl de la Lune, malheur irrparable dont ils se prenaient l'astre radieux. Seulement, quand on leur faisait observer que les comtes ont une atmosphre et que la Lune n'en a que peu ou pas, ils restaient fort empchs de rpondre.
D'autres, appartenant la race des trembleurs, manifestaient certaines craintes l'endroit de la Lune; ils avaient entendu dire que, depuis les observations faites au temps des Califes, son mouvement de rvolution s'acclrait dans une certaine proportion; ils en dduisaient de l, fort logiquement d'ailleurs, qu' une acclration de mouvement devait correspondre une diminution dans la distance des deux astres, et que, ce double effet se prolongeant l'infini, la Lune finirait un jour par tomber sur la Terre. Cependant, ils durent se rassurer et cesser de craindre pour les gnrations futures, quand on leur apprit que, suivant les calculs de Laplace, un illustre mathmaticien franais, cette acclration de mouvement se renferme dans des limites fort restreintes, et qu'une diminution proportionnelle ne tardera pas lui succder. Ainsi donc, l'quilibre du monde solaire ne pouvait tre drang dans les sicles venir.
Restait en dernier lieu la classe superstitieuse des ignorants; ceux-l ne se contentent pas d'ignorer, ils savent ce qui n'est pas, et propos de la Lune ils en savaient long. Les uns regardaient son disque comme un miroir poli au moyen duquel on pouvait se voir des divers points de la Terre et se communiquer ses penses. Les autres prtendaient que sur mille nouvelles Lunes observes, neuf cent cinquante avaient amen des changements notables, tels que cataclysmes, rvolutions, tremblements de terre, dluges, etc.; ils croyaient donc l'influence mystrieuse de l'astre des nuits sur les destines humaines; ils le regardaient comme le vritable contre poids de l'existence; ils pensaient que chaque Slnite tait rattach chaque habitant de la Terre par un lien sympathique; avec le docteur Mead, ils soutenaient que le systme vital lui est entirement soumis, prtendant, sans en dmordre, que les garons naissent surtout pendant la nouvelle Lune, et les filles pendant le dernier quartier, etc., etc. Mais enfin il fallut renoncer ces vulgaires erreurs, revenir la seule vrit, et si la Lune, dpouille de son influence, perdit dans l'esprit de certains courtisans de tous les pouvoirs, si quelques dos lui furent tourns, l'immense majorit se pronona pour elle. Quant aux Yankees, ils n'eurent plus d'autre ambition que de prendre possession de ce nouveau continent des airs et d'arborer son plus haut sommet le pavillon toil des tats-Unis d'Amrique.