D†écouverte dans la ceinture de Kuiper : Une multitude s'†étend au-del†à de Neptune

Des milliards de rochers glac†és gravitent aux confins du Syst†ème solaire. C'est ce qui ressort de campagnes d'observation men†ées par trois †équipes diff†érentes. Plus encore que les com†ètes, ces petits corps, de moins de 1 km de diam†ètre, pourraient †être les vestiges du disque de mati†ère †à partir duquel se sont form†ées les plan†ètes, voici 4,5 milliards d'ann†ées.

La surpopulation guette les confins du Syst†ème solaire. Des milliards, voire des dizaines de milliers de milliards de corps de moins de 1 km de diam†ètre pourraient bient†‡t faire leur entr†ée parmi les repr†ésentants de la ceinture de Kuiper, situ†ée au-del†à de l'orbite de Neptune. Hors de port†ée des plus puissants t†élescopes, ces astres minuscules †étaient jusqu'ici pass†és inaper†çus. Les premiers d'entre eux viennent d'†être d†étect†és par trois †équipes diff†érentes gr†âce aux occultations d'†étoiles. Et, selon ces astronomes, ils seraient infiniment plus nombreux que ne le pr†évoyaient les mod†èles de formation du Syst†ème solaire !
Depuis 1992, un millier de gros rochers glac†és, mesurant tous plus de 100 km, avaient bien †ét†é observ†és dans cette r†égion situ†ée entre 30 et 50 UA (1) du Soleil. Et les plan†étologues supposaient que des corps beaucoup plus petits devaient aussi peupler cette zone. Mais ceux-ci restaient invisibles (2). Devant l'impossibilit†é de voir directement ces objets aux proportions modestes, les trois †équipes ont d†écid†é d'utiliser une m†éthode toute r†écente dans cette qu†ête : celle des occultations d'†étoiles, qui consiste †à d†éceler la baisse d'†éclat d'une †étoile lorsqu'un astre passe devant celle-ci. La forme de la courbe de lumi†ère indique ensuite la distance et la taille de l'objet. Pour des corps aussi petits que ceux de la ceinture de Kuiper, le ph†énom†ène est extr†êmement bref : pas plus d'un dixi†ème de seconde. "Il faut donc disposer d'instruments de photom†étrie tr†ès
rapides", pr†écise Fran†çoise Roques, de l'observatoire de Paris. Avec son †équipe, elle a rep†ér†é deux objets de Kuiper de 300 m chacun, gr†âce au t†élescope de 4,2 m William Herschel, aux Canaries. †À ce jeu de dext†érit†é, c'est le groupe dirig†é par l'Australien George Georgevits qui s'est montr†é le meilleur. M†ême s'il ne peut encore avancer aucun chiffre (3), on peut s'attendre †à un grand nombre d'objets hectom†étriques parmi les centaines de signaux d†étect†és avec le t†élescope de Schmidt de Siding Spring. "Ses r†ésultats sont d'ores et d†éj†à impressionnants, reconna†ît Fran†çoise Roques. Son secret est d'avoir utilis†é un t†élescope couvrant une grande zone du ciel et qui suit 100 †étoiles en m†ême temps."
La derni†ère †équipe, celle du Ta†ïwanais Hsiang-Kuang Chang, s'est illustr†ée quant †à elle par la petitesse des objets d†écouverts. Plut†‡t que d'utiliser un t†élescope, elle a pr†éf†ér†é †éplucher les donn†ées du satellite am†éricain RXTE pour y d†éceler des occultations non pas en lumi†ère visible, mais en rayons X. L'†étoile double Scorpius X1, l'une des sources X les plus intenses de la Voie lact†ée, lui a ainsi permis de r†év†éler une soixantaine d'objets de moins de 100 m, dont certains d'†à peine 20 m !
Pourtant, ces nouveaux venus dans la ceinture de Kuiper ne soul†èvent pas l'enthousiasme de la part de tous les astronomes. Certains d'entre eux remettent en cause la technique de d†étection, qui commence tout juste †à faire ses preuves. Son d†éfaut : elle ne permet que des mesures uniques ; un objet n'est vu qu'une seule fois et ne peut pas †être confirm†é par d'autres observations. Du coup, impossible de faire la diff†érence entre des objets proches ou lointains, selon ses d†étracteurs... Il se pourrait donc que toutes les d†écouvertes annonc†ées soient en r†éalit†é des ast†éro†ïdes ou m†ême pis, des mirages dus †à des effets atmosph†ériques ou encore des d†ébris spatiaux !
En v†érit†é, ce sont surtout les r†ésultats des chercheurs ta†ïwanais qui font l'objet des plus vives critiques, tant les corps identifi†és sont petits. D'apr†ès les int†éress†és, ces astres se situeraient tous †à quelque 43 UA. Mais "l'occultation en rayons X ne permet pas de donner une distance avec pr†écision, comme on peut le faire avec les photom†ètres", explique Fran†çoise Roques. "Il y a encore un vif scepticisme envers cette m†éthode parmi les astronomes, surtout concernant le travail de l'†équipe de Hsiang-Kuang Chang", confirme Alessandro Morbidelli, de l'observatoire de la C†‡te d'Azur. Il faut dire que si les chercheurs ta†ïwanais ont raison, les mod†èles de formation du Syst†ème solaire prennent du plomb dans l'aile... Il y aurait alors beaucoup plus de petits corps que pr†évu. D'apr†ès l'†équipe de Hsiang-Kuang Chang, ils seraient mille fois plus nombreux que les mille milliards attendus. En d'autres termes, on trouverait un de ces astres dans chaque sph†ère de 100 000 km de rayon. Un v†éritable embouteillage !
Les th†éoriciens devraient alors revoir un param†ètre essentiel : le nombre de collisions aux d†ébuts du Syst†ème solaire. Si l'existence d'une multitude de petits corps se confirme, elle laisserait supposer que ce taux de collisions est plus faible que l'on pensait : ces objets peu massifs se d†éplacent moins vite que les gros, †évitant ainsi d'†être percut†és et r†éduits en poussi†ères. Mais on n'en est pas encore l†à. Et †à condition que ses effectifs restent dans les bornes avanc†ées par les mod†èles, cette nouvelle population a en r†éalit†é de quoi rassurer les astronomes. "Trop peu de petits objets ont †à ce jour †ét†é observ†és par rapport †à ce que pr†édit la th†éorie, rappelle Alessandro Morbidelli. Et les r†ésultats des Australiens, que je juge tr†ès prometteurs, pourraient combler ce manque."
Et venir du m†ême coup trancher une question obs†édante pour les plan†étologues : la ceinture de Kuiper s'arr†ête-t-elle brutalement †à 50 UA, comme l'annoncent certains mod†èles, ou se poursuit-elle bien plus loin ? D†écouverts au-del†à de cette limite pour certains, les nouveaux objets font pencher la balance du c†‡t†é de la seconde hypoth†èse. Ils constitueraient un disque †à part enti†ère, une extension de cette ceinture jusqu'†à 150 UA ou plus.
La d†écouverte serait de taille. Car on aurait tout bonnement affaire "aux r†ésidus les plus primordiaux du disque qui a donn†é naissance aux plan†ètes", se r†éjouit Fran†çoise Roques. Mais la chercheuse sait qu'il reste encore du chemin †à parcourir. Il faudra d†écouvrir des centaines d'autres petits objets pour confirmer leur existence. Pour aller plus vite, elle appelle de ses vŠÓux une collaboration entre les trois †équipes pionni†ères.

(1) Une unit†é astronomique (UA) †équivaut †à la distance moyenne Terre-Soleil.
(2) M†ême si, en 2003, Hubble en a photographi†é un de 25 km de long.
(3) L'†équipe est en train d'analyser plus finement les donn†ées r†écolt†ées. Un article devrait sortir prochainement.

Julien Bourdet